A l'hiver de sa vie, alors que les teintes fades ne colorent plus ses journées, l'œil du vieil homme retrouve parfois sa brillance lorsque le temps passé le tire par la manche et le ramène à ses années printanières en lui rappelant ses errances aveugles, ses quêtes impossibles, ses folles surprises.
A l'époque, on lui disait, que pour les gens de son âge, l'amour attendait à chaque coin de rue; si c'était vrai, alors il trouvait qu'il tournait sacrément en rond! Certes, il avait vaguement ferraillé, d'un samedi à l'autre, dans la moiteur du corps de quelques femmes libérées, les soirs où son âme débraillée l'emmenait sur des sentiers improbables. Il connaissait durant la semaine la puissante poussée des désirs de jour, des désirs de pleine lumière, des désirs debout, et il l'assouvissait parfois le week-end au cœur des nuits épaisses dans lesquelles il se sentait protégé comme derrière un mur. Il voulait caresser et être caressé parce que l'incurable peur du danger de ne pas plaire était toujours présente et que les caresses le rassuraient. Mais cette vie là n'était qu'un leurre et ne lui convenait guère. En fait, il cherchait l'amour sans en être totalement conscient, mais surtout, à travers ses frasques de jeune écervelé, il cherchait la femme parfaite, celle des revues. Et ça, c'était une obsession consciente, une obsession de chaque instant. Pour tout dire, à côté de son vice des femmes parfaites, la cocaïne ressemblait à un passe-temps pour chef de gare de banlieue. Son esprit véhiculait des idées reçues, inspirées par certaines scènes des films convenus de l'époque. Il pensait par exemple que « la véritable aristocratie féminine ce sont les jambes qui la confèrent ». Et les fesses aussi, oui, les fesses!
Il n'était finalement pas à son aise dans ces sentiers obscurs lorsqu'un matin le signal fut donné des fleurs insensées, des herbes longues et caressantes, des persiennes ouvertes sur une lumière insolente.
Elle aurait pu être assez jolie mais elle était si prudente, si méfiante, qu'elle s'était arrêtée au bord de la beauté, comme on s'arrête au bord de la vie. Elle était jeune et pâle, doucement frêle et maladroite. Elle avait les cheveux denses, en cascade sauvage, une vraie crinière rousse de fauve effarouché. Non, elle ne ressemblait en rien à ce qu'il recherchait mais instantanément, oubliant les clichés qui lui emplissaient le crâne, il sentit son corps se dégonfler comme une baudruche ridicule. Il tomba tout de suite sous le charme de cette fragile et incertaine apparence, devant la pupille écartelée du monde environnant.
Le premier soir ils ont fait un feu, au bord de la nuit, pour un plaisir neuf et tellement simple, à la lisière mauve d'un bois complice, alors que devant eux s'ouvrait en contrechamp un pays nu à bout de ciel.
Son cœur n'était plus avec lui mais avec elle, éberlué qu'il était de comprendre que s'il n'était pas avec elle, il ne pouvait être nulle part ailleurs. Il posa la main sur sa nudité, insolente de peau et s'enivra de la fraîcheur des pétales de son souffle, tout en contemplant ses seins naïvement et naturellement perchés comme des fruits neufs. Il se rendait compte que la peau de la femme aimée sous ses mains, c'était elle entière dans ses mains. Et de ce fait, sa vie de l'instant suivant en dépendait. Il lui semblait qu'aimer relevait tout d'un coup du sacré et dépassait la philosophie, que c'était du domaine de la sagesse de vie plus que du raisonnement.
Alors qu'il remerciait le ciel de lui faire cadeau d'un lendemain fleuri, elle s'endormit sur lui, tout son corps vif et menu enfoncé dans la confiance tiède du sommeil, le visage encore chaud du dernier baiser.
Le souvenir n'est-il pas le parfum éternel de l'âme? Et le souvenir de l'amour, n'est-il pas l'amour lui-même?